Au Mont-Saint-Michel, le confusionnisme d’Emmanuel Macron
Historiquement absurdes, grossièrement cocardiers, les propos du Président dans la Manche flattent une France réac qui n’a toujours pas digéré la Révolution.
par Thomas Legrand
publié le 6 juin 2023 à 20h23
Décidément, il ne faut pas lâcher Emmanuel Macron et l’histoire ! Le voilà qui vient encore de procéder, sur l’universalisme, à un amalgame conceptuel qui mériterait un zéro pointé en philosophie s’il s’agissait d’une copie du bac. Il ne s’agit pas d’un devoir de lycéen, mais plutôt d’une carte postale à un vieil oncle bien réac qu’on décide de câliner pour une sombre histoire d’héritage. Visez un peu cette phrase prononcée au Mont-Saint-Michel lundi et postée sur le compte Twitter du Président : «En mille ans, sa silhouette est devenue un emblème de l’universalisme français. Son abbaye, le symbole de ce que nous sommes : un peuple de bâtisseurs.»
Fait-il exprès ?
Au-delà de l’aspect cocardier de bon aloi (qui c’est qui bâtit dans le monde d’aussi belles abbayes, hein ? qui ?), le début du propos est d’une abyssale absurdité. Comment lier l’universalisme et le Mont Saint-Michel ? Emmanuel Marcon confond-il universalisme philosophique et universellement connu, ou fait-il exprès ? La réponse est dans la question. L’universalisme français n’a pas 1 000 ans, tout au plus 300. Il date du siècle des Lumières, de Rousseau puis Voltaire. Il fonde, plus tard, avec la république et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, notre identité politique depuis 1789. Il est décliné en 1905 par la grande loi de séparation des Eglises et de l’Etat. L’universalisme français ne s’est donc absolument pas construit avec les cathédrales mais, au contraire, dans l’idée de l’émancipation vis-à-vis de la religion. D’ailleurs en anglais, le terme French universalism est lié à la Révolution, au triptyque «Liberté, égalité, fraternité» et aujourd’hui à la laïcité.
Voilà ce qu’inspirent les propos d’Emmanuel Macron au spécialiste des Lumières et de l’universalisme, à Antoine Lilti, professeur au collège de France, auteur de l’Héritage des Lumières (Seuil) : «Alors que l’universalisme français, dans le discours politique, est habituellement associé à la République, à l’héritage des droits de l’homme et à la laïcité, Emmanuel Macron semble l’identifier au christianisme médiéval. Derrière le brouillage politique, il y a le fantasme d’une unification des mémoires et des imaginaires historiques, mais les mots finissent par perdre toute signification».
Sous-texte fluo
Donc soit Emmanuel Macron est nul en philosophie soit, plus sûrement, il mène une campagne de relativisation de l’héritage républicain. Sa prétention à briser les clivages irait-elle jusqu’à vouloir rétablir la notion de France des cathédrales, France éternelle, en effaçant l’acte de rupture fondamentale que furent la Révolution et sa vision de l’homme ? La France n’est certes pas née de 1789, et son Etat centralisateur, le rapport troublé de son pouvoir avec les papes est, c’est vrai, millénaire. Mais si les mots ont un sens, l’universalisme n’a rien à voir avec ça. Emmanuel Macron se prendrait-il, non pas pour le président de la République mais pour le président de la France ? Louis XVI, roi de France ou Louis-Philippe, roi des Français après la Révolution, c’est un vieux débat, et le Président fait le chemin inverse. Ça serait comique s’il n’y avait pas, via un sous-texte fluo, une intention politique. Emmanuel Macron s’adresse à la France réac, celle qui, au fond, n’a toujours pas digéré la Révolution, n’osait plus le dire depuis Vichy mais qui réapparaît. Il pense peut-être couper l’herbe sous les pieds de Marine Le Pen avec ce confusionnisme conceptuel sur l’universalisme. En fait, il lui tond la pelouse de l’Elysée. Gratuitement en plus.