Cette fois, promis, il va le faire : le maire (Rassemblement national, RN) de Fréjus (Var), David Rachline, affirme vouloir déposer une plainte pour diffamation publique contre l’autrice du livre Les Rapaces (Les Arènes, 224 pages, 20 euros) dévoilant les dessous de sa gestion de la ville. Camille Vigogne Le Coat, journaliste à L’Obs, y détaille notamment un système d’entente conduisant, selon elle, à la corruption, impliquant l’élu et un influent homme d’affaires local, un train de vie démesuré et particulièrement fêtard, et un racisme décomplexé régnant au sein de l’administration municipale.
Dans une première enquête, publiée en janvier dans L’Express, la journaliste racontait déjà l’argent liquide qui se glisse partout, les marchés publics truqués au bénéfice d’un seul homme, les saluts nazis du maire. A l’époque, une plainte avait été annoncée : il n’en fut rien. Le maire avait préféré envoyer ses troupes rafler tous les numéros de L’Express en ville. L’enquête n’avait connu que peu d’écho.
Dix mois plus tard, David Rachline n’a plus vraiment le choix. La presse a largement couvert la sortie de cette enquête sur ce qui fut la vitrine municipale du RN dès 2014. « Les avocats sont en train de finaliser la plainte, assure-t-il au Monde. La ville de Fréjus va déposer plainte pour défendre les agents mis en cause de manière délirante, et je déposerai plainte en tant que maire sur les sujets qui me concernent. »
David Rachline, par ailleurs vice-président du parti d’extrême droite, décrit le livre comme « un recueil de propos diffamatoires, de ragots calomnieux et d’accusations mensongères provenant d’opposants locaux ou d’anciens collaborateurs éconduits ». Il dément l’ensemble des faits qui lui sont imputés. La justice n’a, pour l’heure, pas été saisie de potentiels délits dans sa gestion de la ville.
Rachline devenu radioactif
Au Rassemblement national, tout le monde a lu les bonnes feuilles du livre, publiées dans L’Obs le 2 novembre. Le contenu a particulièrement agacé Marine Le Pen. Jean-Marie Le Pen, l’idole politique de David Rachline, s’est procuré l’ouvrage. Personne ne lâche publiquement le maire de Fréjus. Le parti n’entend diligenter aucune enquête sur les pratiques dénoncées, d’autant plus que David Rachline était présenté, jusqu’à 2022, comme le « meilleur ami » de l’actuel président du RN, Jordan Bardella.
Les deux hommes ont pris un peu de bon temps ensemble à l’été 2023. Malgré les soupçons sur la gestion de M. Rachline déjà étalés publiquement, la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, Marine Le Pen, a embarqué avec eux sur un voilier dans le golfe de Saint-Tropez (Var), à la fin du mois de juin, selon le récit de Camille Vigogne Le Coat.
Pour autant, politiquement, celui qui veillait sur la bonne organisation du congrès du RN il y a un an seulement semble devenu radioactif. M. Rachline n’est pas apparu aux côtés de Jordan Bardella ou de Marine Le Pen en 2023. Il n’était pas aux Estivales de Beaucaire (Gard), la rentrée politique du parti, au mois de septembre. Il n’était pas non plus le 5 octobre à Toulon, où le RN inaugurait une nouvelle permanence dans le Var en présence des députés locaux et de Marine Le Pen… mais sans celui qui fut l’homme fort du département.
Mardi 7 novembre, à la réunion du groupe RN à l’Assemblée nationale, il fut question de lui, et du livre Les Rapaces. Le fond de l’ouvrage n’a pas été abordé. Uniquement le timing : selon le récit lepéniste, ce serait parce que les sondages sont bons et que la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) est mise en difficulté que la corporation journalistique se serait donné le mot pour faire feu sur le parti d’extrême droite – comme si la date de sortie d’un livre s’adaptait à l’actualité politique.
Attaqué, le RN recourt aux méthodes traditionnelles. L’autrice est décrite par les têtes lepénistes comme une « militante politique », son enquête comme des « trucs qui n’intéressent personne » par Jordan Bardella, ou les « petites poubelles des médias français » par Sébastien Chenu, vice-président de l’Assemblée nationale. Sans jamais répondre sur le fond des accusations portées dans le livre, ni les démentir, Marine Le Pen s’en est remise à la justice, mercredi 8 novembre, sur RTL : « Par principe, David Rachline, je lui accorde évidemment ma confiance, sauf démonstration contraire. » Interrogé sur le fait de savoir s’il se sentait soutenu par le parti dont il est le numéro trois, David Rachline répond : « Je ne ferai pas de commentaire. »
