Les coupures d’électricité non ciblées, ce sont les inégalités aggravées

Maxime Combes

Maxime Combes

Le gouvernement prévoit de possibles coupures d’électricité cet hiver. Dans de nombreux d’articles de presse du jour, vous lirez que ces coupures pourraient concerner jusqu’à 60% de la population. Vous y lirez aussi qu’il pourrait être « déconseillé de monter dans un ascenseur ou de prendre sa voiture en cas de coupure en soirée ». « Ascenseur et feux de circulation pourraient ne pas fonctionner ». «  Pour éviter que des trains ne soient bloqués deux heures au milieu d’une voie », la SNCF pourrait supprimer des trains, car le système de signalisation, relié au réseau général, pourrait être coupé.

Mieux. Des écoles pourraient être fermées le matin. Et vous n’avez pas la garantie à ce stade que les numéros d’urgence seront accessibles partout et tout le temps. Rassurez-vous néanmoins puisque les hôpitaux, prisons, casernes de pompiers, gendarmeries, commissariats et voisins immédiats de ces édifices resteront alimentés : vous ne pourrez peut-être pas appeler les secours, mais vous pourrez courir aux urgences. On nous promet que les coupures pourraient avoir lieu entre 8 heures et 13 heures et entre 18 heures et 20 heures mais qu’elles ne dureront pas plus de deux heures consécutives et qu’« une même zone ne sera pas délestée deux fois de suite ».

Hors infrastructures vitales et de sécurité, il semble donc n’y avoir aucune réflexion sur l’utilité sociale, économique et écologique des activités qui pourraient ne plus être alimentées.

J’ai hâte. Oui, j’ai hâte de voir comment seront justifiées l’annulation de trains et la fermeture d’écoles pendant que les remontées mécaniques de Megève ou Courchevel continueront à fonctionner.

Hâte de voir comment allons-nous accepter de ne pas avoir de courant pour réchauffer la soupe à 19 ou 20 heures pendant que des panneaux publicitaires lumineux continueront à fonctionner dans les gares et nos centre-villes. 

Hâte de voir la piscine en plein air chauffée à 28°C du Lagardère Paris Racing dans le 16ème à Paris (quartiers riches) continuer à distraire ses membres sélectionnés quand les ascenseurs des tours des quartiers populaires d’Aubervilliers, Bobigny, Clichy-sous-Bois, Grigny seront arrêtés.

Hâte aussi de voir l’aéroport de Roissy-CDG continuer à fonctionner quand la Ligne 13 du métro à Paris sera mise à l’arrêt.

Hâte enfin de voir comment sera justifiée l’absence de courant en début de soirée dans une petite ville pendant que le stade de foot, le gymnase et le cours de tennis de la ville d’à-côté pourront continuer à éclairer des mecs tapant dans un ballon ou une balle. (précision : taper dans un ballon, c’est cool).

J’ai hâte, oui. Vraiment hâte, tellement je n’en reviens pas. Tellement tout cela me met en colère. Pour trois raisons au moins :

1) Ce possible rationnement imposé de l’accès à l’électricité que nous allons devoir supporter ne vient pas de nulle part. Il serait trop facile d’en reporter la seule responsabilité sur Vladimir Poutine et sa guerre en Ukraine. Que l’on soit clair : Poutine est un criminel et cela fait des années que nous le savons. Mais ce rationnement imposé à des populations qui ne sont pas préparées est directement le résultat de l’incurie de gouvernements actuels et passés qui ont été incapables de mettre en œuvre une politique de transition énergétique qui aurait réduit nos besoins et nous aurait affranchi de nos dépendances fossiles et géopolitiques.

On ne le rappellera jamais assez : si les objectifs du Grenelle de l’Environnement (2008) en matière d’isolation des bâtiments avaient été tenus, nous économiserions l’équivalent du gaz que nous importions de Russie avant le début de la guerre en Ukraine. Quand on constate que le gouvernement vient de rejeter les propositions visant à augmenter les crédits dévolus à la rénovation énergétique des bâtiments, avec pour conséquence le fait qu’on va moins isoler de logements en 2023 qu’en 2022, on comprend qu’aucune leçon n’en a été manifestement tirée.

2) Puisque ces mesures de rationnement imposé semblent inéluctables, leur mise en œuvre devrait s’appuyer sur un débat public démocratique de qualité pour savoir où, quand et comment les appliquer. A la place, nous avons l’alliance d’une technocratie d’État et d’un gouvernement enfermé dans sa tour d’ivoire en charge de prendre des décisions qui ont des répercussions sur l’ensemble d’entre nous et pour lesquels ils n’ont reçu aucun mandat. Quelle légitimité auront ces décisions ?

3) Ce plan de rationnement de l’électricité vient après un plan de sobriété fondé sur des engagements volontaires et des incitations non contraignantes, qui faisait l’impasse sur l’essentiel : stopper les productions superflues ; réduire les inégalités ; financer les services publics (transports…) et isoler les logements. Nous l’avions résumé ainsi : 1) La sobriété sans égalité, c’est l’austérité pour les plus pauvres ; 2) La sobriété sans interdiction des activités nocives, c’est une politique de classe qui s’affirme ; 3) La sobriété sans services publics, c’est l’austérité pour la majorité ; 4) La sobriété sans isolation généralisée, c’est la précarité énergétique prolongée.

Impréparation. Incurie. Éloignement. Illégitimité. Contradictions et impasses multiples : n’avons-nous pas déjà vu ce film ? En est-on réduit à espérer que l’hiver ne soit pas trop froid ?

Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015) et co-auteur de « Un pognon de dingue mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie » (Seuil, 2022). 

Les coupures d’électricité non ciblées, ce sont les inégalités aggravées © @MaximCombes